L’accès aux documents administratifs relatifs à l’urbanisme et/ou à l’environnement.

 

Un voisin en quête de renseignement sur un projet immobilier adjacent ? Un audit d’acquisition à réaliser par un agent immobilier ? Des informations à obtenir par rapport à son propre immeuble ? Les hypothèses sont nombreuses, dans lesquelles la question de l’accès aux documents d’urbanisme détenus par l’administration se pose.

Nous analyserons dans le présent article, quelle personne peut avoir accès aux plans d’autorisation de bâtir, aux plans de lotissement, aux PAG, aux documents urbanistiques préparatoires (schémas directeurs, études préparatoires,…), aux études environnementales, et comment. Nous exposerons brièvement la procédure à suivre, les délais, et analyserons plus globalement ci-après ces thématiques souvent sensibles pour les administrés et les administrations.

Pour aborder ces questions ouvrant un large spectre de réponses, il convient tout d’abord de formuler quelques précisions et de délimiter quelques notions de droit administratif.

En effet, il faudra, au niveau de la personne du demandeur d’information, distinguer tout d’abord : d’une part, la personne du destinataire, directement concernée par un document administratif (par exemple, le bénéficiaire d’un permis de bâtir) et d’autre part, le tiers intéressé par rapport à ce document (pour reprendre le même exemple, le voisin d’un projet de construction autorisé).

Au niveau du droit allégué ensuite : l’on distinguera le droit de consultation, et le droit d’obtenir copie d’un document.

A titre liminaire, nous opèrerons une différentiation du point de vue du document demandé : s’agit-il d’un « acte administratif », et dans ce cas, s’agit-il d’un acte individuel ou réglementaire ; ou bien s’agit il d’un « document administratif » ?

 

  1. Acte ou document administratif ?

La notion de « document administratif » fait écho à la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte, entrée en vigueur le 1er janvier 2019, qui a consacré au Luxembourg, un droit d’accès « aux documents détenus par les administrations et services de l’État, les communes, les syndicats de communes, les établissements publics placés sous la tutelle de l’État ou sous la surveillance des communes ainsi que les personnes morales fournissant des services publics » dans le chef de toute personne physique ou morale, pour autant que les documents réclamés soient « relatifs à l’exercice d’une activité administrative ».

La loi précitée vise ainsi un très large panel de documents ayant traits à l’activité administrative et détenus par l’administration, qui doivent, sauf les exceptions y prévue, être communiqués par l’administration, à toute personne en faisant la demande, sans que celle-ci n’ait besoin de faire valoir un intérêt.

La notion d’ « acte administratif » recoupe une réalité plus restreinte, et vise une manifestation unilatérale de volonté, émanant d’une autorité administrative et destinée à produire des effets de droit (V. Bulletin de jurisprudence administrative, « Le contentieux administratif en droit Luxembourgeois », R. ERGEC, mis à jour par F. DELAPORTE, Pasicrisie Luxembourgeoise asbl, 2019).

Dès lors, si un acte administratif est a priori nécessairement un document administratif, l’inverse n’est pas vrai.

L’acte administratif peut être individuel, ou réglementaire, s’il comporte des normes générales et impersonnelles pouvant s’appliquer à un nombre indéterminé de personnes.

La distinction entre les deux catégorisations importe. En effet, les dispositions légales en matière de publication et de communication diffèrent suivant qu’il s’agit d’un acte administratif individuel, ou d’un acte réglementaire.

Dans le premier cas, la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et son règlement grand-ducal d’exécution s’appliquent, tandis que ces textes demeurent inapplicables en matière d’actes administratifs réglementaires.

Le règlement grand-ducal précité dispose, notamment, en son article 11 que « Tout administré a droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être ». L’article 12 dudit règlement consacre le même droit, mais cette fois pour le tiers intéressé : « Toute personne concernée par une décision administrative qui est susceptible de porter atteinte à ses droits et intérêts est également en droit d’obtenir communication des éléments d’informations sur lesquels l’Administration s’est basée ou entend se baser ».

Ceci dit, certaines dispositions légales en matière de droit de consultation ou de communication (comme par exemple l’article 82 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 pour les règlements communaux), ne s’appliquent qu’aux actes réglementaires, à l’exclusion donc des actes administratifs individuels.

 

  1. Droit de consultation, ou droit d’obtenir une copie ?

Le droit de consultation peut être défini comme le droit de lire, de parcourir, de prendre inspection d’un document afin d’y puiser un renseignement. Ce droit n’implique pas nécessairement celui d’emporter une copie du document. Ainsi, si l’article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain prévoit un droit de consultation d’une autorisation de bâtir et de ses plans (« (…) le public peut prendre inspection à la maison communale des plans afférents appartenant à l’autorisation de construire pendant le délai durant lequel l’autorisation est susceptible de recours (…) »), il ne prévoit en revanche pas, a priori, le droit pour le voisin d’obtenir copie des plans autorisés.

La jurisprudence des juridictions administratives ne s’est jusqu’alors pas prononcée en ce sens: « une commune a pour seule obligation légale de permettre  au  public  la  consultation  des  plans  à  la  maison  communale,  mais  non  d’adresser des copies du dossier  administratif  aux  personnes  intéressées,  et  ceci  non  pas  pour  une question  de  droits  d’auteurs,  qui  interdisent  la  reproduction  non  autorisée  de  l’œuvre représentée  par  ces  plans,  mais  non  la  copie  des  plans  en  tant  que  pièces  faisant  partie  d’un dossier administratif,  mais  pour une  simple raison  de praticabilité et  de  coûts, la duplication de plans à des formats souvent importants étant compliquée et coûteuse. » (T.A., 2 mai 2016, n° 34142 et 34144), le tribunal administratif exposant toutefois qu’il « serait souhaitable que la commune consente » à fournir une copie des plans à la personne en faisant la demande, contre remboursement des frais afférents. Il convient de préciser quoiqu’il en soit qu’un défaut de communication du dossier administratif ne peut, sauf circonstances exceptionnelles et atteinte aux droits de la défense, affecter d’illégalité la décision administrative dont la communication a été refusée (T.A., 9 juillet 2009, n° 25142). 

La loi précitée du 14 septembre 2018 change toutefois la donne en matière d’autorisation de construire puisqu’elle consacre un droit d’obtenir une copie, cette fois, des documents administratifs, dont font parties les autorisations de bâtir et les plans afférents.

 

  1. Synthèse et tentative de clarification

En matière de droit de consultation ou de communication de documents administratifs, le Luxembourg connait des textes légaux disparates. Les principales dispositions se retrouvent dans la procédure administrative non contentieuse pour les actes administratifs individuels, dans la loi du 25 novembre 2005 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et dans la loi précitée du 14 septembre 2018. L’on retrouve aussi quelques textes épars qui règlent la question (article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 pour le droit de consultation des autorisations de bâtir, l’article 24 de la loi communale pour le droit de consultation et de copie des délibérations du conseil communal, l’article 82 de la loi communale pour la consultation et la copie des règlements communaux, etc.).

Certains documents peuvent relever du champ d’application d’une ou de plusieurs lois simultanément. Ainsi, des informations environnementales peuvent être exigées tant sur base de la loi du 25 novembre 2005 que sur base de la loi du 14 septembre 2018. A notre avis, les dispositions les plus favorables à l’administré (y compris du point de vue de la procédure et des droits d’accès à la justice) doivent s’appliquer, alors qu’il convient de donner une interprétation la plus large possible au droit d’accès aux documents visés.

 

 

3.1. La communication des autorisations de bâtir et des plans

Le droit de consultation et d’obtention de copie des plans d’autorisations de bâtir, a toujours soulevé diverses controverses, ceci en l’absence de directives précises des juridictions administratives, respectivement du Législateur : chaque commune, chaque technicien communal, ayant sa propre idée sur la manière de résoudre les difficultés : certains acceptaient de communiquer tous les plans, d’autres refusaient catégoriquement la copie de ceux-ci pour des motifs de respect de droits d’auteurs ou encore du respect de la vie privée des demandeurs de permis. D’autres encore acceptaient une transmission partielle.

L’institution d’une Commission d’accès aux documents administratifs (en abrégé « CAD »), ayant notamment pour mission de remettre un avis en cas de refus de faire droit à une demande de communication d’un document, pourrait avoir l’avantage d’harmoniser les pratiques.

Ainsi, la CAD a récemment statué sur un refus de communication des plans d’autorisations par la Ville de Luxembourg en réponse à la demande d’un acquéreur potentiel d’un immeuble (dans le cadre d’une due diligence). La Ville invoquait des arguments ayant trait aux droits d’auteurs d’une part, et à la protection des données personnelles d’autre part, pour refuser la communication des plans autorisés. Dans son avis du 23 décembre 2019, la CAD a écarté les arguments de l’administration, pour en conclure que les plans extérieurs de l’immeuble autorisés, sont communicables (plans de mesurage, plans d’implantation, plans de façade, plans de coupe, etc.). En revanche, suivant la CAD, les plans intérieurs, ne seraient pas communicables, alors qu’ils auraient trait à la sécurité des personnes et au respect de la vie privée. A notre estime toutefois, le droit à la vie privée doit être mis en balance avec les droits du tiers intéressé à vérifier la légalité du permis de bâtir ou la conformité d’une construction vis-à-vis des plans autorisés. Il appartiendra le cas échéant aux juridictions d’opérer cette mise en balance d’intérêts potentiellement opposés. En contentieux administratif, l’ensemble des plans autorisés devront en tout état de cause être communiqués, à notre estime, en vertu de l’article 8 (5) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Toutefois, si les éléments architecturaux internes à la construction ne changent rien à la situation du tiers opposant, les arguments d’illégalités éventuelles ne devraient pas être retenus par les juridictions administratives, les moyens afférents pouvant être considérés comme inopérants s’ils n’ont pas d’incidence concrète sur la situation du voisin (voir par ex T.A., 3 juin 2019, n° 40718).

L’autorisation de bâtir en tant que telle (« partie écrite »), est pour sa part communicable. Il convient aussi de préciser que le droit d’obtenir copie de ces documents (plans et autorisations) ne vaut pas que durant la période de recours contre celles-ci, respectivement la période de consultation du dossier tel que retenu à l’article 37 de la loi du 19 juillet 2004. De même, les autorisations de bâtir antérieures à l’entrée en vigueur de la loi du 14 septembre 2018 doivent aussi être communiquées (voir avis n° Avis nr R-17/2019 de la CAD).

Les avis de la CAD devraient dans les prochaines années, fournir de précieux éléments sur des questions restant pour l’heure ouvertes : la commune est-elle tenue de communiquer le certificat de performance énergétique, les échanges entre le demandeur de permis et le service technique, l’avis de la commission des bâtisses, la demande de permis de bâtir ? A notre estime, ces documents font partie du dossier et son communicables. Plus sensible est toutefois la question de savoir si l’avis juridique de l’avocat de la commune, sur un dossier de demande de permis, est transmissible. Cette interrogation ne trouve actuellement pas de réponse claire et définitive, mais la CAD, dans son avis n° 4/2019, semble pouvoir accepter une obligation de communication si les propos de l’avocat ne constituent pas une « opinion communiquée à titre confidentiel ».

 

3.2. La communication d’autres plans d’ordre urbanistique ou environnemental

Les actes administratifs réglementaires (parties graphiques et écrites des PAP, PAG, POS, PDS, zones de protection de la nature déclarées obligatoires par règlement grand-ducaux, zones de protection des sources, zones inondables), sont par nature communicables. Les documents préparatoires non achevés, ne sont pas communicables. 

La question de savoir si un document est achevé ou non peut poser des discussions en pratique. A notre estime, un document élaboré par une administration respectivement pour une administration, et dont l’élaboration aurait été arrêtée en cours de route, pour demeurer à l’état de projet, doit être considéré comme un document achevé. Ainsi, un schéma directeur établi à un stade des réflexions urbanistiques menées en interne par une commune, doit pouvoir être communiqué (voir contra : Avis nr R-14/2019 – la question est portée devant les juridictions administratives).

Les études et screening environnementaux sont en principe communicables, sur base des lois précitées du 25 novembre 2005 et du 14 septembre 2018 (voir à ce sujet notamment T.A.24 janvier 2019, n° 42171 du rôle ; T.A., 17 décembre 2019, n° 43604 du rôle).

 

Maître Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour.

Pour aller plus loin :

Notre article sur la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte

Notre article sur l’accès à l’information en matière environnementale.