La publicité des biens vendus : Agents immobiliers, prenez garde !

 

La publication de photographies des biens vendus (maisons, terrains, appartements…), pour faire la promotion de son travail, de son sérieux, de ses qualités de mise en valeur des immeubles, ou encore de ses expériences commerciales passées, est une pratique de plus en plus utilisée par les agents immobiliers.

 

La publication de clichés de biens immobilier vendus

Elle permet à l’agent immobilier d’afficher ses qualités professionnelles par le biais de cette vitrine visuelle, et aussi d’attirer l’attention de potentiels acquéreurs ou de futurs vendeurs en leur permettant de se faire une idée plus précise sur le type de biens ayant déjà été commercialisés par l’agent immobilier.

Il ne fait nul doute que les images des biens vendus permettent de nourrir le site internet de l’agent immobilier, et de le rendre plus attractif (très important pour les agences de petites envergures).

Toutefois, la publication d’un cliché d’un bien vendu peut soulever des contestations, émanant en pratique principalement du nouveau propriétaire du bien, parfois peu enclin à laisser figurer sur des sites internet, des photographies de son immeuble, lorsque celles-ci détaillent également les espaces intérieurs. Il faut donc prendre garde sur la publication de certains clichés exposant un bien immobilier.

 

Problématique et analyse des photographies de biens vendus

Le problème s’inscrit sur fond de problématiques liées au respect de la vie privée et du contrôle des données personnelles sur le net (RGPD).

C’est la raison pour laquelle nous nous sommes interrogés sur l’existence, éventuelle, d’un lien entre la propriété d’un bien et le droit d’en réaliser et d’en publier l’image.

Nous avons centré notre analyse en nous positionnant vis-à-vis de l’acquéreur, c’est-à-dire en nous interrogeant sur la faculté pour l’acheteur de s’opposer au maintien des photographies du bien sur le site internet de l’agent immobilier, voir, de réclamer de ce fait, l’indemnisation d’un préjudice qu’il aurait subi.

En d’autres termes, il s’agit de s’interroger si un propriétaire serait fondé à demander, par exemple, l’allocation de dommages et intérêts suite à l’utilisation à des fins commerciales, par un tiers, de l’image de son bien, sans son autorisation ?

Il s’agit d’une question délicate puisqu’elle met en confrontation plusieurs droits : le droit de propriété (voir le droit au respect de la vie privée) et le droit d’auteur de l’agent immobilier ayant pris les photographies. Cette question a donc suscité, notamment en droit français, de nombreux débats.

Au terme de l’article 1er §1 de la loi modifiée du 18 avril 2001 sur les droits d’auteurs, les droits voisins et les bases de données :

 « Les droits d’auteur protègent les œuvres littéraires et artistiques originales, quels qu’en soient le genre et la forme ou l’expression, y compris les photographies, les bases de données et les programmes d’ordinateur.

 Ils ne protègent pas les idées, les méthodes de fonctionnement, les concepts ou les informations, en tant que tels. […] ».

Cela suppose donc qu’un photographe acquiert « automatiquement » un droit d’auteur sur les photos qu’il prend, pour autant que ces photos soient « originales ».

La jurisprudence considère traditionnellement que l’œuvre doit « porter la marque de la personnalité, de l’individualité, du goût, de l’intelligence et du savoir-faire de son créateur » (Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 16 mai 2006, rôle n°75250), pour être protégée par le droit d’auteur.

En parallèle, à la question du droit d’auteur, se pose celle relative à la protection absolue du droit de propriété (articles 537 et 544 du code civil).

Il convient de souligner un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation française du 7 mai 2004, qui a jugé que « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci, mais il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal » (Ass. Plén. 7 mai 2004, n°04-10.450).

 

Faits similaires

Les faits en cause étaient les suivants : une société de promotion immobilière qui avait entrepris la construction d’un immeuble avait confié à une société publicitaire la confection de dépliants comportant, notamment, outre le plan de situation de la future résidence, une photographie de la façade d’un immeuble classé monument historique.

Le propriétaire de l’immeuble classé avait saisi la justice pour obtenir réparation du préjudice consécutif au trouble de jouissance qu’il prétendait avoir subi du fait de la diffusion du dépliant.

Dans pareille situation, l’utilisation à des fins commerciales, de l’image d’un immeuble n’est donc pas en elle-même de nature à constituer un trouble anormal.

En d’autres termes, l’utilisation de l’image du bien immobilier d’autrui est en principe libre. Mais comme toute liberté, cette utilisation a des limites, notamment l’opposition pour trouble anormal, qui s’entend comme une atteinte à la tranquillité ou à l’intimité de la personne.

Ainsi conviendrait-il de distinguer la publication de photographies des éléments extérieurs de l’immeuble (façades, alentours), de la publication de photographie d’éléments intérieurs, par nature plus incisifs et pouvant, dans le cas échéant, justifier la survenance d’un trouble anormal (on peut imaginer une atteinte à l’intimité ou à la sécurité du propriétaire, en fonction des spécificités du cas d’espèce).

Il appartiendrait donc au propriétaire du bien de prouver que l’exploitation de l’image de son bien perturbe de façon excessive l’usage ou la jouissance de sa chose, étant précisé que le critère « d’anormalité » est subjectif et que sa preuve est difficile à établir.

En ce qui concerne l’image de l’agencement intérieur, la question du respect de la vie privé peut se poser. Si le règlement général sur la protection des données est muet en ce qui concerne la question épineuse de la protection de l’image d’un bien, la jurisprudence précitée laisse la porte ouverte à une action du propriétaire s’estimant lésé.

Dès lors, en l’absence d’accord du propriétaire du bien, nous suggérons que les agents immobiliers retirent, par précaution, une fois la vente réalisée, toutes les informations et précisions susceptible de permettre la localisation dudit bien et ne publient pas de photographies des volumes intérieurs de l’immeuble, si celles-ci sont de nature à porter atteinte à la vie privée.

Relevons sur ce point que la Commission d’Accès aux Documents administratifs (CAD) a estimé dans un avis nr R-5/2019 du 12 juin 2019 que « la CAD a pris connaissance des plans intérieurs et estime que ces documents sont exclus du droit d’accès en application de l’article 1er(2) point 2 de la loi précitée du 14 septembre 2018 alors qu’ils ont trait à la sécurité des personnes et le respect de la vie privée ».

Ce point de vue, que nous ne partageons pas, a semble-t-il été récemment battu en brèche par le tribunal administratif :

« (…) d’un point de vue légal, l’article 38 [lire 37], alinéa 6, de la loi du 19 juillet 2004, ne distingue pas entre plans extérieurs et intérieurs, mais impose la publicité, sous la forme de la possibilité de les consulter, de tous les plans, sans distinction, tandis que d’un point de vue pratique, la publicité des plans externes et internes constitue un élément indispensable à l’étude d’un projet de construction, notamment du point de vue de sa conformité avec la réglementation urbanistique communale, la communication d’un jeu intégral des plans de construction permettant notamment à un tiers intéressé d’évaluer, en connaissance de cause, l’opportunité d’intenter un recours contentieux, la consultation et, et le cas échéant, la communication en particulier des plans révélant la configuration interne d’un immeuble (maison unifamiliale ou plurifamiliale, présence de locaux de commerce, de bureaux etc.) ainsi que sa conformité avec des dispositions spécifiques (p.ex. nombre de places de parking).

 Partant, si la loi du 19 juillet 2004 prévoit l’accessibilité aux plans sans distinction, des considérations tenant à d’éventuelles données à caractère personnel contenues dans les plans ne sauraient être opposées aux requérants sur le fondement de la loi du 14 septembre 2018.

Quant à la référence au règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données (« RGPD ») et plus particulièrement à son article 4, point 1), il convient de relever que les seules données à caractère personnel éventuellement décelables par le tribunal en l’espèce -à défaut de toute précision apportée par l’administration communale- seraient l’identité du bénéficiaire de l’autorisation de construire, identité ayant non seulement d’ores et déjà fait l’objet d’une publicité légale, tel que retenu ci-avant -mais étant encore indiquée par toutes les parties en cause dans le cadre du présent recours sous analyse : l’administration communale ne saurait se prévaloir de la protection de l’identité -connue -du bénéficiaire de l’autorisation de construire pour en refuser la communication. » (T.A., 5 août 2020, n°43595 du rôle).

 

Préconisations pour l’utilisation des images

On peut ainsi déduire de la jurisprudence précitée et que les plans de construction des éléments intérieurs à un immeuble ne sont, a priori, pas couverts par le droit au respect de la vie privée, mais la décision précitée ne permet pas d’étendre cette conclusion aux photographies.

Nous conseillons partant aux professionnels de l’immobilier à rédiger une clause dans leurs contrats afin de se voir autorisés l’utilisation des photographies du bien vendu à des fins commerciales, de sorte à éviter tout équivoque ou tout débat ultérieur à ce niveau.

 

Me Sarah BURLET – Avocate au Barreau de Paris

Me Sébastien COUVREUR – Avocat à la Cour