Mitoyenneté : au-delà des mythes et légendes

Dans un pays toujours plus densément peuplé et où les prix du foncier flambent, les limites de propriété cristallisent souvent les tensions entre voisins. Avec les questions relatives aux servitudes (de vues, de jour, d’échelle, de passage, non aedificandi, etc.), celles relatives à la mitoyenneté sont parmi les plus couramment posées dans les relations entre propriétaires de terrains contigus.

Cependant, les mécanismes de la mitoyenneté sont généralement mal connus, ce qui peut générer des situations conflictuelles qui auraient été évitables. Si la bonne entente et la bonne foi restent les meilleurs atouts d’une relation saine de voisinage – les voisins pouvant en la matière largement régir leurs relations par le biais de convention – connaître ses droits et obligations peut permettre d’éviter des malentendus.

Les conflits entre voisins respectifs se produisent souvent lorsque la relation de bon voisinage cesse, après la vente d’un terrain bâti ou non bâti à un tiers (promoteur, ou particulier), et la réalisation prochaine d’un projet immobilier nécessitant des interventions vis-à-vis d’un ou plusieurs murs mitoyens (démolition-reconstruction d’une maison jumelée, d’une maison en bande, rehaussement d’un mur séparatif, ancrages, etc.).

Avant d’aborder ces problématiques, il convient de circonscrire la notion de mitoyenneté et de distinguer le mur mitoyen du mur privatif.

Définition de la mitoyenneté

La mitoyenneté est tantôt définie comme une forme de copropriété (terminologie à distinguer de celle reprise dans la loi modifiée du 16 mai 1975 portant statut de la copropriété des immeubles bâtis), tantôt comme une forme de servitude (ce qu’elle n’est pas, bien qu’elle soit reprise sous le chapitre relatif aux « servitude établies par la loi » dans le code civil), tantôt encore comme un droit réel. Elle peut être définie de manière plus appropriée comme un régime d’indivision forcée, en principe perpétuelle. Il est important de comprendre que les droits et devoirs des copropriétaires d’un mur mitoyen s’exercent par rapport à l’intégralité du mur et non seulement par rapport à la partie du mur donnant sur ou située sur le terrain appartenant à l’un des deux propriétaires voisins.

Il est important de comprendre également à ce stade que l’on ne peut conclure péremptoirement qu’un mur est mitoyen dès lors qu’il se situerait sur la limite de propriété respectivement qu’il serait privatif s’il se situe entièrement sur une seule parcelle, ces éléments ne pouvant suffire à conclure ou à exclure que le mur est mitoyen ou non.

Finalement, la mitoyenneté s’analyse sur base des dispositions du code civil (art. 653 à 673). Du point de vue du droit de l’urbanisme, la circonstance qu’un mur soit mitoyen ou privatif n’implique, en principe, aucune conséquence de droit. Ainsi un bourgmestre pourra-t-il, par exemple, délivrer une autorisation de bâtir portant sur des travaux à réaliser sur le mur mitoyen sans requérir au préalable l’accord des copropriétaires du mur :

« Le permis de construire étant délivré sous réserve des droits des tiers, il leur appartient de les faire valoir devant le juge compétent, à savoir les juridictions civiles. Ainsi, le bourgmestre, en délivrant l’autorisation de bâtir, constate dans la forme passive d’une autorisation que la réalisation du projet est permise. Cet acte d’administration ne peut avoir pour l’administration aucune conséquence civile, de manière que si le bâtisseur construit sur le bien d’autrui ou si le bien est grevé de servitudes civiles, la demande est néanmoins accueillie, parce que l’administration ignore le point de droit civil et qu’elle ne prend aucune responsabilité technique » (C.A., 2 octobre 2012, n° 30360C du rôle et les références y citées).

Jugé également que « Dans la mesure où les dispositions du Code civil ne consentent aucun droit décisionnel aux voisins copropriétaires des murs mitoyens d’un immeuble en cas de rehaussement desdits murs par le propriétaire de cet l’immeuble, il ne saurait être admis qu’un règlement communal attribue un tel droit décisionnel à ces voisins, leur permettant de faire ainsi obstacle sur le plan administratif, à un projet de construction entièrement conforme aux dispositions réglementaires » (T.A. 13 janvier 2014 n° 30798 et 31849 du rôle).

Etablissement de la mitoyenneté

Il existe quatre modes d’établissement de la mitoyenneté. Elle peut s’établir par consentement mutuel entre les propriétaires voisins (par convention), par prescription acquisitive (usucapion), par « acquisition forcée », et par « obligation de se clore ».

Les deux dernières hypothèses renvoient aux articles 661 et 663 du code civil.

Preuves et présomptions de mitoyenneté

En cas de litige quant au caractère mitoyen ou non d’un mur, la preuve de celui-ci, tout comme d’ailleurs du caractère privatif du mur, peut être rapportée par titre. L’article 653 du code civil énonce d’ailleurs que « Dans les villes et les campagnes, tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu’à l’héberge, ou entre cours et jardins, et même entre enclos dans les champs, est présumé mitoyen, s’il n’y a titre ou marque du contraire ». L’article 666 du code civil mentionne pour sa part que « Tous fossés entre deux héritages sont présumés mitoyens s’il n’y a titre ou marque du contraire ».

 Il est préférable que le titre soit commun pour pouvoir prouver adéquatement la mitoyenneté ; la valeur probante d’un titre qui émane d’un seul des deux propriétaires en litige ayant été controversée en doctrine et en jurisprudence, quoique cette dernière semble l’admettre également dans cette hypothèse, tout en lui conférant la valeur d’une présomption.

La mitoyenneté (respectivement le caractère privatif du mur) peut se prouver également par présomptions légales voire par présomptions du fait de l’homme.

Les présomptions légales de mitoyenneté sont prévues aux articles 653, 666 et 670 du code civil. 

Les présomptions de non-mitoyenneté (marques de non-mitoyenneté) sont prévues aux articles 654 (pour le mur), 667 et 668 du code civil (pour le fossé). 

L’admission des présomptions de mitoyenneté ou non-mitoyenneté relève de l’appréciation souveraine du juge du fond.

Droits des copropriétaires du mur mitoyen

Les copropriétaires du mur ont un droit d’usage, un droit d’adossement et un droit d’exhaussement.

Chacun des copropriétaires du mur mitoyen dispose d’un droit d’usage, lequel n’est pas spécifiquement prévu par les dispositions du code civil relatives à la mitoyenneté : ce droit est inhérent à la qualité de (co)propriétaire du mur. Ainsi, chaque propriétaire bénéficie de l’usage exclusif du mur mitoyen sur la face du mur qui est de son côté. Ce droit d’usage autorise chacun à se servir du mur comme s’il lui appartenait en propre (J. Carbonnier, Droit civil, t.3 : PUF, 19ème éd. 2000, n° 138), à condition de ne pas nuire aux droits du voisin ou à la destination de la chose commune.

Le droit d’adossement est prévu par les articles 657 (« Tout copropriétaire peut faire bâtir contre un mur mitoyen, et y faire placer des poutres ou solives dans toute l’épaisseur du mur, à cinquante-quatre millimètres (deux pouces) près, sans préjudice du droit qu’a le voisin de faire réduire à l’ébauchoir la poutre jusqu’à la moitié du mur, dans le cas où il voudrait lui-même asseoir des poutres dans le même lieu, ou y adosser une cheminée ») et 662 du code civil (« L’un des voisins ne peut pratiquer dans le corps d’un mur mitoyen aucun enfoncement, ni appliquer ou appuyer aucun ouvrage sans le consentement de l’autre, ou sans avoir, à son refus, fait régler par experts les moyens nécessaires pour que le nouvel ouvrage ne soit pas nuisible aux droits de l’autre »). Ces deux textes sont, a priori, contradictoires, puisque le premier admet la réalisation de travaux sans le consentement de l’autre copropriétaire du mur, tandis que le second l’exige ; ce qui a donné lieu à de nombreux débats en doctrine et en jurisprudence. Aborder ces controverses dépasserait de loin la prétention du présent article. Nous retiendrons cependant à ce stade que la problématique sera tranchée en pratique par le juge, compte tenu de préoccupations d’ordre technique et du caractère peu ou prou invasif des travaux à réaliser, la jurisprudence faisant la distinction entre l’ « enfoncement » et l’ « adossement ».

Le droit d’exhaussement est organisé par les articles 658 à 660 du code civil :

« Tout copropriétaire peut faire exhausser le mur mitoyen; mais il doit payer seul la dépense de l’exhaussement, les réparations d’entretien au-dessus de la hauteur de la clôture commune, et en outre l’indemnité de la charge en raison de l’exhaussement et suivant la valeur ».

« Si le mur mitoyen n’est pas en état de supporter l’exhaussement, celui qui veut l’exhausser doit le faire reconstruire en entier à ses frais, et l’excédant d’épaisseur doit se prendre de son côté ».

« Le voisin qui n’a pas contribué à l’exhaussement, peut en acquérir la mitoyenneté en payant la moitié de la dépense qu’il a coûté, et la valeur de la moitié du sol fourni pour l’excédant d’épaisseur, s’il y en a ».

Ce droit s’exerce de manière absolue (sans préjudice de la nécessité d’obtenir un permis de construire, le cas échéant) et sans que l’accord du co-propriétaire du mur ne soit requis, pour autant que le constructeur ne commette pas un abus de droit ou n’agisse pas dans l’intention exclusive de nuire à son voisin.

Devoirs des copropriétaires du mur mitoyen

En vertu de l’article 655 du code civil, les copropriétaires sont tenus à une obligation d’entretien et de réparation du mur mitoyen. Pour être partagés, les frais doivent être liés à des travaux reconnus comme nécessaires et non pas seulement voluptuaires, auquel cas ceux-ci resteront à charge du propriétaire les ayant souhaités.

L’un des copropriétaires du mur, désirant être dispensé des frais de réparation et d’entretien dudit mur, peut décider d’abandonner son droit mitoyenneté dans le respect de l’article 656 du code civil : « Cependant tout copropriétaire d’un mur mitoyen peut se dispenser de contribuer aux réparations et reconstructions en abandonnant le droit de mitoyenneté, pourvu que le mur mitoyen ne soutienne pas un bâtiment qui lui appartienne » et des conditions fixées par la jurisprudence.

Les copropriétaires du mur sont encore tenus à des « obligations de bon voisinage ».

Ainsi, l’article 671 du code civil retient :

« Les arbres, arbrisseaux et arbustes de toute espèce peuvent être plantés en espaliers de chaque côté de la clôture séparative, sans que l’on soit tenu d’observer aucune distance.

Si le mur de séparation n’est pas mitoyen, le propriétaire seul a le droit d’y appuyer ses espaliers ».

L’article 675 dudit code expose :

« L’un des voisins ne peut, sans le consentement de l’autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant », ceci alors qu’en vertu de l’article 676 du code, « Le propriétaire d’un mur non mitoyen, joignant immédiatement l’héritage d’autrui, peut pratiquer dans ce mur des jours ou fenêtres à fer maille et verre dormant. (…) ».